Souvent négligée, la santé mentale des dirigeants constitue un enjeu stratégique, tant pour leur équilibre personnel que pour la performance collective.
Environ un quart des dirigeants se sentent dans une forme psychologique passable ou mauvaise, selon la dernière étude sur la santé du dirigeant de la fondation d’entreprise MMA des Entrepreneurs du futur. Cette proportion monte même à 40 % chez les dirigeants d’entreprises dites à impact, d’après une enquête menée par Ticket for change.
Gérer une entreprise implique en effet une charge mentale élevée, en raison des nombreuses responsabilités et tâches associées. La gestion financière et de la trésorerie, la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, la conformité aux réglementations et la prise de décisions stratégiques sont tout particulièrement sources de stress.
Une dynamique mise à mal
Face à ces facteurs de risque, la santé mentale du dirigeant devrait être considérée comme un enjeu stratégique. D’autant que des troubles psychologiques non pris en charge peuvent affecter l’ensemble des équipes, voire conduire à des comportements à risque sur le plan juridique (harcèlement, etc.). Les dirigeants en sont d’ailleurs conscients : 9 sur 10 considèrent que leur santé mentale a une influence sur la dynamique et la performance collectives, d’après une enquête menée par l’institut Choiseul auprès de 670 décideurs membres de son réseau.
Si la santé mentale des dirigeants est encore souvent négligée, c’est notamment à cause de la difficulté qu’ont ces derniers à exprimer leurs problèmes. « Dans l’entrepreneuriat, le mal-être est souvent perçu comme une faiblesse. La peur d’être jugé, de perdre en crédibilité ou de fragiliser son projet pousse de nombreux dirigeants à taire leur détresse, alimentant un isolement encore plus pesant », rapporte Ticket for change à partir d’entretiens qualitatifs menés auprès de dirigeants à impact.
Consulter quand… tout va bien
Selon Noémie Guerrin, fondatrice du cabinet Santé du dirigeant, briser ce tabou impose de remettre en cause l’image idéalisée du chef d’entreprise, véhiculée notamment sur les réseaux sociaux et par certaines émissions de téléréalité. « Le triptyque “liberté, argent, réussite” souvent rattaché à la figure de l’entrepreneur ne représente pas le quotidien de la majorité des dirigeants. Cette idéalisation empêche le partage de récits plus nuancés et renforce ce qu’on appelle l’isolement statutaire », explique cette consultante spécialisée dans la prévention en santé mentale au travail.
Autre tabou à lever : la consultation d’un professionnel de santé mentale. Dans l’étude de l’institut Choiseul, deux dirigeants sur trois jugent encore cette démarche taboue dans leur environnement. C’est pourtant tout à fait recommandé en cas de troubles psychologiques… et même si tout va bien. « Quand on est dirigeant, il est fondamental de voir un psychologue, estime ainsi Camy Puech, fondateur et CEO du cabinet Qualisocial. La résilience ne s’improvise pas en pleine tempête : elle se construit en amont, quand tout va bien. Prendre soin de sa santé mentale est une démarche essentielle pour tout dirigeant. »
Manque de solutions dédiées
Les études sur la santé mentale des dirigeants pointent régulièrement le manque de dispositifs dédiés. Tous les dirigeants interrogés dans le cadre de l’étude de Ticket for change ont ainsi souligné l’absence de solutions adaptées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette association lancera un parcours collectif de six mois pour permettre aux dirigeants de « se recentrer, retrouver du sens en reprenant de la hauteur sur leur projet et leurs engagements, et préserver leur énergie ».
Le psychologue Jean-Luc Douillard, créateur du dispositif Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë (Apesa), estime de son côté qu’il faudrait « généraliser la nécessité d’être suivi psychologiquement quand on crée, rachète ou reprend une entreprise ». Après tout, rappelle-t-il dans une interview au Bigmedia de Bpifrance, « la santé du dirigeant, dans sa globalité, c’est le premier capital de son entreprise ».